Dans la langue au moins,
l'usine à gaz a le vent en poupe !
C'est la métaphore à la mode, l'injure suprême mais de bon ton. Un authentique paradoxe, dans ce monde voué aux nouvelles technologies, que ce retour intempestif à l'aube de la révolution industrielle ! Décryptage...
« Le compte pénibilité, une usine à gaz épouvantable » (My TF1 News) ; « Le référendum d'initiative partagée, une scandaleuse usine à gaz » (Numerama) ; « Pour y voir plus clair dans cette usine à gaz, il existe des comparateurs d'offres des différents fournisseurs » (L'Est-Éclair) ; « Inscrit dans la loi, le suivi intensif risque notamment de prendre des allures d'usine à gaz » (Le Figaro) ; « Complémentaires santé : une nouvelle usine à gaz » (Que choisir ?) ; « La ligue des Nations, nouvelle usine à gaz de l'UEFA » (Le Monde) ; « Rythmes scolaires : une usine à gaz, inutile et coûteuse » (Lyon capitale) ; « Apprentissage pour les chômeurs de longue durée : derrière l'apparente bonne idée, l'usine à gaz » (Atlantico)...
On l'aura compris à la lecture de ces extraits volés à la Toile : l'usine à gaz est désormais partout. Rien moins qu'inédite dans les faits, mais ô combien tendance dans les propos ! Mais que signifie au juste cette formule et d'où diable sort-elle ?
De toute évidence, il est fait allusion aux usines de fabrication du gaz de ville, dont l'entrelacement labyrinthique de tuyaux laissait au profane du XIXe siècle une impression de formidable complexité, de beaucoup supérieure à ses facultés de compréhension. Les informaticiens, jamais en retard d'un jargon, auraient été les premiers à faire main basse sur l'image, dans les années 1950 : se trouvaient par là désignés les ordinateurs de l'époque, lesquels ne pesaient pas moins de trente tonnes et occupaient la bagatelle de cinq cents mètres carrés de surface au sol ! Les ont aujourd'hui remplacés sur le banc d'infamie les logiciels compliqués et insuffisamment « conviviaux » — autre terme à la mode.
Mais, on s'en est aperçu plus haut, le fleuve a rapidement quitté son lit pour envahir le terrain d'un politique qui n'est que trop prompt, lui aussi, à accoucher de systèmes abracadabrantesques et réservés aux seuls initiés ! Pain bénit pour l'opposition, quelle qu'elle soit, qui aura toujours beau jeu d'insinuer, en les qualifiant d'usines à gaz, que les initiatives de la majorité ne valent pas... un pet de lapin !