Ces retraites(-)chapeau(x),
combien ça décoiffe !
Respecter l'orthographe n'a déjà rien d'une sinécure quand les dictionnaires vous y aident. Mais que faire si le nom composé que vous devez mettre au pluriel est inconnu au bataillon ?
Un exemple ? Ce sera cette « retraite-chapeau » (ou « retraite chapeau » ?) qu'a, bien malgré lui, remise au goût du jour il y a deux mois l'ex-président du directoire de PSA Peugeot Citroën, Philippe Varin. Il faudrait être l'Ingénu de Voltaire pour ignorer de quoi l'on parle, et pourtant ni Larousse ni Robert — fussent-ils prompts, d'ordinaire, à prendre en marche le train de l'évolution — ne lui ont jusqu'ici consacré la moindre ligne. Ces derniers vous disent tout sur le « parachute doré », cette autre prime perçue par un dirigeant lors de son licenciement ou de son départ. Mais sur cette retraite financée intégralement par l'entreprise et exonérée de cotisations sociales comme de contribution sociale généralisée, rien. Gageons que ce sera pour l'édition 2015, aux prochaines grandes vacances. Mais en attendant, qu'est-ce qu'on fait ?
Eh bien, ce qu'on veut ! Quand le chat n'est pas là, c'est bien connu, les souris dansent. Trait d'union dans L'Express, La Tribune, Le Bien public, Dernières Nouvelles d'Alsace, Le Progrès, Sud-Ouest ; pas de trait d'union dans L'Humanité, Le Journal du dimanche, Le Monde, Le Parisien, Le Point, Midi libre, La Provence et La Voix du Nord. Le Nouvel Observateur, lui, a visiblement les deux... casquettes et passe sans façon d'une graphie à l'autre. Rien de grave au demeurant, voilà belle lurette que l'on a rendu facultatif ledit trait d'union dès qu'il est question de mettre un nom en apposition : partant, on écrit aussi bien « poste clé » que « poste-clé ».
Mais au pluriel ? Pour tous les journaux qui précèdent, ce « chapeau » est né sous X, et la marque du pluriel s'applique, trait d'union ou pas, aux deux éléments. L'unanimité sera cependant pour une autre fois, La Dépêche, Les Échos, La Nouvelle République et Ouest-France, pour ne citer qu'eux, évoquant des « retraites chapeau ». Quant au Figaro, il semble avoir opté, de son propre (couvre-)chef, pour les « retraites-chapeau » !
Il est vrai qu'au regard de l'orthographe traditionnelle le sens a toujours été déterminant pour l'accord et qu'ici on ne comprend pas d'emblée ce qu'un galure vient faire dans cette galère... S'agit-il, comme le suppose le Wiktionnaire de la Toile, d'une retraite complémentaire « qui vient couronner une carrière comme le ferait un chapeau » ? Veut-on plutôt rendre hommage à celui qui s'est dévoué corps et âme à son entreprise, en lui tirant son chapeau ? Ou est-ce au contraire celui-là qui, au moment de se retirer des affaires, vous salue bien bas en tirant le sien ? Il faudrait avoir attrapé le melon pour prétendre détenir la vérité dans cet imbroglio !
Nous ne résistons pas, cela dit, au plaisir d'émettre une hypothèse de plus, quand elle ne nous convaincrait qu'à moitié. Le Trésor de la langue française nous apprend que, dans le langage de la marine, le « chapeau du capitaine » n'était autre, jadis, qu'une bonification qui lui était remise sur le fret transporté. Et du capitaine de navire au capitaine d'industrie, y a-t-il, au fond, beaucoup plus qu'une encablure ?
Une chose est sûre, l'infortuné Philippe Varin a dû finalement le manger, ce chapeau qu'on lui a fait porter. Dur, dur de devoir ainsi prendre ses cliques sans son claque !