La dictée de compétition,
une scène de genre ?
S'il fallait une preuve supplémentaire que les Timbrés de l'orthographe ont désormais atteint leur vitesse de croisière, il conviendrait sans doute de la chercher de ce côté-là : la principale difficulté de la finale nationale 2013, laquelle s'est tenue il y a quelque quinze jours à Paris, reposait sur le sexe du protagoniste...
Tous les passionnés d'orthographe vous le diront, le piège de genre est à la dictée de compétition ce que l'épreuve de philo du bac est aux médias : le marronnier de l'année ! Obliger le candidat à deviner si ce qui parle ou ce dont on parle est mâle et femelle pour que celui-ci ait, ensuite, à accorder adjectifs et participes passés en conséquence relève de ce que Bernard Pivot aurait appelé, la lippe gourmande, le b.a.-ba du métier... Coïncidence troublante qui n'aura sûrement pas échappé aux historiens des feus championnats d'orthographe : lui-même et son égérie Line Sommant s'y étaient également résolus à l'occasion de leur... troisième finale, celle de 1987, qui se déroulait sur un de ces bateaux-mouches que nous évoquions dans notre dernière chronique ! En faisant signer une lettre prétendument adressée au président du jury par... une épistolière finaliste, ce que l'on n'apprenait, comme il se doit, qu'à la fin du texte, notre Mérimée moderne avait contraint ses innocentes victimes — du moins celles qui avaient le pied assez... fluvial pour découvrir à temps le pot aux roses — à ajouter en dernier ressort quelques « e » là où, subitement, ils étaient devenus indispensables !
Si, donc, les Timbrés de l'orthographe jouent définitivement dans la cour des grands, il n'en va pas encore de même de toutes leurs ouailles. Il est proprement ahurissant, en effet, qu'une candidate, s'avisant que le personnage principal de la dictée se prénommait Stéphane, ait cru bon de lever le doigt pour demander à Tatiana de Rosnay s'il s'agissait là d'un homme ou d'une femme. Il ne lui fut naturellement rien répondu, mais le mal était fait. Le concurrent chevronné sait bien, lui, à l'instar de la grand-mère de Martine Aubry, que « quand c'est flou, il y a un loup ». Il se gardera bien de mettre la puce à l'oreille de ses rivaux et ne comptera que sur lui-même pour établir le code génétique de l'intéressé. En espérant secrètement, il va sans dire, que les pièces à conviction se révéleront incontestables : beaucoup se sont récriés, cette fois, à l'idée qu'un « canon moulé dans une salopette » renvoyât exclusivement à la gent féminine. C'est encore, certes, le credo des Petit Larousse et Petit Robert, mais force est d'avouer qu'avec le mariage pour tous l'un et l'autre ont pris un sérieux coup de vieux : d'autres dictionnaires, à l'exemple du Dixel, voient tout autant dans ce canon un « homme très beau » qu'une « femme très belle ». Non, mais !
Il reste qu'en la matière les possibilités sont, sinon illimitées, du moins étendues. Pour décider si les Stéphane, les Claude, les Camille, ou tout autre « je » qui ne dit pas son nom, descendent d'Ève ou d'Adam, il y aura toujours, Esculape merci, les bornes que nous a fixées Dame Nature. Faites de votre personnage un client à la dysménorrhée, infligez-lui une cervicite chronique, hospitalisez-le au besoin — la totale ! — pour une hystérectomie, on n'aura aucune excuse à y voir autre chose qu'une représentante du beau sexe. Encore faut-il avoir reconnu au passage, dans les vocables susmentionnés, menstruation douloureuse, inflammation du col de l'utérus et ablation de ce dernier. Honni soit, alors, qui mâle y pense ! À l'inverse, le quidam qui souffre de posthite a toutes les chances d'avoir barbe au menton : n'est-il pas, en l'occurrence, question d'une... inflammation du prépuce ?
Évidemment, si l'infortuné candidat n'y a vu qu'un autre feu avant d'écrire « Post-it », il risque fort, au bout du compte, d'être collé !