Il vaut mieux
avoir affaire à Dieu qu'à ses saints !
Dans la vie de tous les jours, c'est l'évidence, et le proverbe s'est depuis longtemps chargé de nous en persuader. Mais c'est tout aussi vrai en matière d'orthographe, ce dimanche de Pentecôte tombe à pic pour nous le rappeler...
Si Dieu, en effet, dans cette religion monothéiste qu'est le christianisme, a toujours droit à sa majuscule, ne serait-ce que pour le distinguer de ces divinités de pacotille qui grouillaient, autrefois, dans l'Olympe, il n'en va pas de même, tant s'en faut, pour ses saints. Bienheureux — si l'on ose dire ! — qui n'y perd pas son latin...
Prenez déjà le Saint-Esprit, celui-là même que l'on fête aujourd'hui pour être descendu sur les apôtres, sept semaines après Pâques — c'est d'ailleurs là le sens de « Pentecôte », pentêkostê signifiant en grec « cinquantième (jour) ». Quand il s'écrirait toujours avec deux majuscules et un trait d'union, il suffit qu'il se retourne pour que les ennuis commencent : Esprit-Saint pour l'Académie, Esprit saint pour Robert ! Même querelle de chapelle, du reste, dès que ledit Saint-Esprit retrouve le Père et le Fils : sainte Trinité ici, Sainte-Trinité là...
On aura deviné que, si le flou règne au sommet de la hiérarchie, il n'en est que plus prononcé pour les saints de base. Certes, on sait depuis belle lurette que ceux-là n'ont droit ni à la majuscule ni au trait d'union (saint Nicolas), sauf évidemment une fois par an, quand c'est leur fête (la Saint-Nicolas), ou lorsqu'on leur fait l'insigne honneur de donner leur nom à une rue ou à une institution (l'école Saint-Nicolas). Mais cette dure loi ne s'impose pas à tous : en tant que mère de Jésus, la Sainte Vierge bénéficie souvent d'un traitement de faveur, au même titre, soit dit en passant, que Saint Louis. Du moins quand il s'agit de ce roi qui rendait la justice sous un chêne et qui est resté célèbre dans notre histoire parce qu'un jour André Santini le compara au garde des Sceaux de François Mitterrand, Pierre Arpaillange, lequel (dixit le maire d'Issy-les-Moulineaux) la rendait, pour sa part, « comme un gland » ! Qui sait ? Peut-être, après tout, l'aura de notre président sortant vaudra-t-elle prochainement sa majuscule à ce malheureux saint Nicolas ? Il n'est pas interdit de croire au père Noël !
Pour tout ce qui « fait l'objet d'une vénération particulière », autrement dit est employé au sens de « sacré, consacré », le Grand Dictionnaire des difficultés et pièges du français de Larousse exclut majuscule et trait d'union : sainte ampoule, saints apôtres, saint chrême, saint ciboire, saintes espèces, saintes huiles, saints lieux (mais Lieux saints !), sainte messe, saintes reliques, sainte table, etc. Mais, là encore, les passe-droits ne manquent pas : habitude a été prise d'écrire saint-synode, Saint-Office et Saint-Siège. Sans oublier — à tout Seigneur par procuration tout honneur — notre saint-père le pape, que paradoxalement on raccourcit à coups de majuscules : Saint-Père !
Jusqu'à la « partie la plus secrète de quelque chose », celle dont on interdit l'entrée aux profanes, qui s'écrit saint des saints chez Larousse, Saint des Saints chez Robert ! Accorder les violons de nos lexicographes nous semblerait pourtant relever, en l'occurrence, d'un sain dessein...
Décidément, et comme l'aurait sans doute dit un ancien Premier ministre passé maître dans l'art de la raffarinade, « le chemin est droit, mais la Pentecôte est raide ! » Quant au jour béni où tous ces saints se retrouveront enfin au paradis de la cohérence, nul doute qu'il ne risque de se situer aux alentours de Pâques, à moins que ce ne soit à la Trinité...