Il y a de l'« Urgences » dans l'air...

Jeux de main, jeux de chirurgien

< mardi 3 décembre 1996 >
Chronique

Enfoncé, Dallas ! Place à Chicago. L'univers y est tout aussi impitoyable, mais le glucose a éclipsé le whisky, la civière les somptueuses limousines... En voie d'extinction, Les Feux de l'amour ! L'heure n'est plus au bla-bla, elle est aux interventions de la dernière chance et au combat, souvent désespéré mais toujours pathétique, contre la mort. Signe des temps ? Le téléspectateur ne fantasme plus guère sur la richesse ni sur la passion, il ne rêve que plaies et bosses. Il n'attend plus des fictions qu'elles l'arrachent à un quotidien décevant, mais au contraire qu'elles l'y replongent. Serions-nous devenus raisonnables ? Ou faut-il voir là l'émergence d'un voyeurisme plus discutable ?

Laissons aux sociologues le soin de répondre. Notre propos se bornant au langage, demandons-nous seulement si, dans le succès que rencontre la série de France 2, la fascination qu'a de tout temps exercée sur le profane le jargon médical n'entre pas pour une part. Il y a probablement, pour le commun des mortels, et quand il n'y comprendrait goutte, quelque chose de jubilatoire à entendre ainsi parler d'hypoxie et de défibrillation ; à entendre manier des abréviations qui, approximativement interprétées, revêtent un caractère magique, quasi incantatoire. Rien, décidément, n'a changé, depuis Molière et son Malade imaginaire !

Plus rassurantes, en revanche, s'avèrent les leçons de l'étymologie. Le chirurgien, à qui l'on voue aujourd'hui une admiration sans bornes (cela n'a pas toujours été le cas, sa pratique ayant même été jugée barbare et condamnée par le concile de Tours, au douzième siècle) reste fondamentalement celui qui travaille avec les mains : l'élément chir(o)- (que l'on retrouve dans chiromancie, chiroptère, chiropraticien) dérive du grec kheir, « main ». En cette ère de haute technicité où l'ordinateur se permet de tenir tête à nos champions d'échecs, n'est-il pas des plus réconfortant de se répéter que nous confions notre vie à un artiste plutôt qu'à un robot ?