Qui veut éteindre
dit que la lumière éblouit !

< dimanche 16 mai 2010 >
Chronique

Il ne s'agit pas là, que le lecteur se rassure, de la version moderne du proverbe « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ». Tout au plus de la réflexion que nous inspirent la prochaine extinction des feux sur certains tronçons autoroutiers d'Île-de-France et plus encore les raisons avancées pour la justifier !

Les statistiques seraient en effet formelles : une autoroute éclairée la nuit est plus accidentogène — Dieu ! que ce mot est laid ! — que quand elle est plongée dans l'obscurité. La chose a été dûment constatée, et elle s'expliquerait par le fait que, quand on n'y voit goutte, on lève le pied. Dont acte. Mais ne nous avait-on pas affirmé la main sur le cœur, quand il importait de légitimer leur multiplication comme les pains de l'Évangile, que c'étaient les radars qui provoquaient ce sain réflexe chez l'usager de la route ?

Voilà en tout cas un mode de raisonnement qui n'est pas sans risque pour ses auteurs. Si doit se confirmer ce paradoxe selon lequel le danger est d'autant plus grand que les conditions de circulation sont optimales, les sociétés d'autoroutes, qui ont pris l'habitude d'expliquer les tarifs souvent prohibitifs qu'elles pratiquent par la nécessité d'entretenir les voies, ont du souci à se faire. On ne tardera plus à leur objecter que, tout bien pesé, ledit entretien n'est pas si nécessaire, et que des routes qui tiendraient moins du billard flanqueraient à plus d'un conducteur... des boules salutaires !

Pis : d'aucuns finiront bien par se demander si la gratuité desdites autoroutes ne constitue pas, au fond, la réponse la plus adaptée aux problèmes de sécurité routière. Il n'est que trop clair (si l'on ose dire, eu égard au contexte !) que, plus ou moins consciemment, la vitesse excessive sur autoroute résulte souvent de l'envie d'en avoir pour l'argent que l'on vient de dépenser au poste de péage. On ne peut même exclure que certains allumés s'engouffrent dans la brèche et remettent bientôt en cause le sacro-saint contrôle technique. Car qui pourrait jurer que le sentiment de conduire un véhicule qui vient d'être examiné sous toutes les coutures et dans lequel, partant, il a toute confiance n'est pour rien dans la sensation d'impunité qu'éprouve le chauffard en écrasant la pédale d'accélérateur ?

Cela dit, et puisque par ces temps de vaches maigres nous semblons décidément promis aux ténèbres, les efforts du chroniqueur de langue se borneront à faire en sorte qu'on les qualifie d'épaisses et non d'épais. Ce mélange des genres n'est pas rare, et il est, de façon plus générale, le lot de la plupart des mots qui ne s'emploient qu'exceptionnellement (voire jamais) au singulier. Certes, il se trouvera des naturels optimistes pour nous rétorquer que la chose tombait ici sous le sens, avec cette terminaison féminine qui ne fait pas mystère de son sexe. Mais il sera par trop facile de doucher leur enthousiasme, à coups d'arcanes subtils, de décombres fumants, de pénates chéris, de soldes exceptionnels ou de vivres variés...

Il se pourrait d'ailleurs que se fier à l'ultime syllabe d'un nom pour déterminer son genre fût, en français, le plus sûr moyen de tomber sur un bec. Et ce n'est pas parce qu'on aura éteint ce dernier que cela fera moins mal !