À Pâques,
la grammaire marche sur des œufs !
Pâques peut bien passer, aux yeux du chrétien, pour un jour de gloire et de résurrection, il n'en demeure pas moins, pour l'usager de la langue, un authentique chemin de croix. Article ou pas ? Majuscule ou minuscule ? Singulier ou pluriel ? Et, surtout, masculin ou féminin ? Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'avec lui les occasions ne manquent pas... de se retrouver chocolat !
Essayons de faire simple. Au singulier et précédé de l'article, le mot renvoie à la fête juive annuelle qui commémore l'exode d'Égypte, ou encore à la fête orthodoxe. Ainsi, André Maurois évoque avec gourmandise les « gâteaux de la Pâque juive », Maurice Barrès « la semaine de la Pâque grecque ». N'allez pourtant pas croire que la majuscule, si elle est fréquente, constitue en l'occurrence un dogme inviolable : on l'a longtemps refusée aux fêtes autres que chrétiennes, et il n'est pas rare que dans cette acception l'on écrive aussi « la pâque », au risque d'une confusion — il est vrai mineure, celui-ci symbolisant celle-là — avec l'agneau que, traditionnellement, l'on immolait pour la circonstance... N'allez pas davantage penser que le pluriel soit définitivement hors la loi dans ces cas de figure : la romancière Zoé Oldenbourg n'hésite pas à écrire, dans son Procès du rêve, que « Pâques russes tombaient tard cette année-là » !
Les choses seraient-elles plus claires du côté des Églises chrétiennes d'Occident ? Il s'en faut, hélas ! C'est que le mot, sous nos latitudes, a tout du transsexuel, genre amour, délice et orgue : comme ces derniers, il est masculin au singulier, féminin au pluriel... Vous ne voudriez pas qu'un grammairien sérieux mît tous ses œufs dans le même panier ? Partant, et quand la météo nous prédirait un Pâques « frais » et « nuageux » cette année, cela n'empêchera pas qu'on vous « les » souhaite « joyeuses » ! On vous expliquera alors doctement que le mot est du féminin quand il est accompagné d'une épithète ou d'un déterminant — en témoignent les « Pâques fleuries » du dimanche des Rameaux et les « Pâques closes » de celui de Quasimodo, quinze jours plus tard. Mais qu'il reste masculin quand il est employé seul. Les raisons de cet hermaphrodisme linguistique ? Nébuleuses, pour ne pas dire plus ! Le Petit Robert considère visiblement que la fête chrétienne est, à l'origine, du féminin pluriel, alors que le masculin serait le résultat d'une ellipse : on entendrait par là « le jour de Pâques ». Pour le Dictionnaire des difficultés et pièges du français de Larousse, en revanche, c'est bel et bien le masculin singulier qui désigne la fête religieuse, quand le féminin pluriel s'appliquerait au temps de l'année où l'on célèbre Pâques ! On le voit, mais c'était bien le moins que l'on pût attendre dans un tel contexte : il y a manifestement, en l'espèce, plus d'un son de cloche...
Et on ne vous parle pas de la majuscule ! Si tout le monde s'accorde sur le sens de l'expression (à savoir « se confesser et recevoir la communion durant le temps pascal, conformément à la prescription de l'Église »), l'Académie écrit « faire ses pâques », Littré « faire ses Pâques ». De même, quand Larousse vous souhaite de « joyeuses pâques », Robert surenchérit par le biais de « joyeuses Pâques ». Mais il était prévisible que, pour mettre ces deux-là d'accord, la croix seule ne suffirait pas. Il y faut encore la bannière...
Quant à ceux qui, épris de logique et de cohérence, se diraient crucifiés par ces sempiternelles divergences, il ne leur reste plus qu'à placer leurs espoirs dans une prochaine harmonisation des dictionnaires. Et qu'à prier, bien sûr, pour que cela se fasse à Pâques... plutôt qu'à la Trinité !
En attendant, vivement Noël ! Ou... la Noël ? Décidément, avec ce diable de français, on n'est jamais à la fête...