Infirmière en République tchèque :
l'appât du sein
Allez, il n'y a pas que du morose dans l'actualité : à l'infirmière qui résiste aux sirènes allemandes et autrichiennes, une clinique privée de Prague propose d'arrondir la poitrine en même temps que les fins de mois ! C'est en effet une paire de seins flambant neuve qui lui est offerte à l'embauche contre l'engagement de ne pas quitter son poste avant trois ans. Faute de quoi, n'en doutons pas, elle se ferait sévèrement remonter les bretelles.
Notre propos n'est évidemment pas de faire des gorges chaudes d'un tel fait divers, quand il prouverait — car ça marche ! — que plus d'une représentante du beau sexe a la tête... près du bonnet. Bornons-nous à saisir cette occasion inespérée de faire un sort à une variante orthographique qui se rit des injures du temps comme des indignations de la raison : nous voulons parler des appas.
Car même le Petit Robert 2009, pourtant prompt, les habitués de ce blog ne le savent que trop, à lever l'étendard sanglant de la « nouvelle orthographe », n'a pas cru devoir accéder aux désirs des réformateurs sur ce point ! Réflexe de solidarité qui s'expliquerait par le nom qu'il porte ? Ce n'est pas à exclure. Quoi qu'il en soit, quand le Larousse des noms communs ne se dérobe pas et concède que, « dans le cadre de l'orthographe rectifiée, on peut écrire appâts le mot qui désigne les charmes physiques d'une femme, en particulier sa poitrine », Robert, lui, met les bouts et continue des plus classiquement à distinguer entre appâts du pêcheur et appas du péché. Reconnaissons avec lui que la poésie n'y perd pas !
L'affaire, au demeurant, n'est pas nouvelle. Littré regrettait déjà que l'on eût fait deux mots différents de ce qui ne constituait, à l'origine, qu'un seul et même vocable : appas est l'ancien pluriel de ce que l'on écrivit d'abord appast, où past figure la pâture que l'on jette pour attirer le gibier ou le poisson. Pourquoi, au lieu de s'effacer devant la forme régulière, comme tant de ses semblables, s'est-il maintenu dans ce sens précis ? Mystère et boule de silicone !
Au vrai, on ne nous ôtera pas de l'idée que nos classiques y sont pour quelque chose... La spécialisation de sens dont nous parlions plus haut s'étant opérée au XVIIe siècle, elle reçut aussitôt la caution du théâtre de l'époque où, c'est un secret de Polichinelle, il y avait du monde à tous les balcons. Qui pourra jamais oublier le « non moins homme » Tartuffe, posant le masque du dévot pour célébrer les « célestes appas » d'Elmire ? En se laissant... pigeonner ainsi, nul doute que le héros de Molière n'ait beaucoup fait pour la renommée du mot, dont un certain Lafaye, deux siècles plus tard, cernera rondement les alléchants contours dans son Dictionnaire des synonymes : « À proprement parler, les appas promettent du plaisir. (...) C'est un terme érotique et un peu libre, qui est relatif à la beauté matérielle des formes, à celle de la gorge, des bras et de la taille. Les mots d'attraits et de charmes n'ont pas ce caractère de sensualité. » Le ver était dans le fruit, et il fit beaucoup pour que prospèrent dans son sillage d'autres acceptions plus sages, tels les appas de la gloire ou de la vertu...
Il reste à espérer qu'en ce jour où l'on appelle aux urnes l'Europe aura su déployer tous ses appas. Sinon, c'est vers d'autres appâts que bon nombre de nos compatriotes risquent de se tourner, pour peu que le baromètre soit de la partie !