Est-il vraiment impardonnable
de s'excuser ?

< dimanche 15 février 2009 >
Chronique

En ces temps de repentance tous azimuts, la question est devenue cruciale. Devez-vous — au nom de la langue française, s'entend ! — vous indigner que l'homme ou la femme de votre vie, après avoir oublié de fêter hier saint Valentin, implore ce matin votre clémence par le biais d'un banal « je m'excuse » ?

N'en déplaise à ceux qui, pour rien au monde, ne renonceraient au plaisir de vous faire la leçon quand vous vous y laissez prendre vous-même, non ! Cette tournure n'a rien d'incorrect ni même de discourtois. On va certes vous expliquer d'un ton docte que l'on ne saurait décemment s'absoudre de ses propres fautes, que c'est à l'offensé de décider si vous méritez ou non son pardon. Qu'à cette formule empreinte d'immodestie il faut préférer « excusez-moi » ou, mieux encore, « je vous prie de m'excuser ».

Autant vous prévenir tout de suite, le plus simple est de ne pas relever : les préjugés qui touchent à la langue sont des plus difficiles à combattre. Et vous aurez beau appeler à la barre Colin, Dauzat, Grevisse, Hanse, Thomas et quantité d'autres autorités incontestables, autant vaudrait d'uriner dans un stradivarius ! C'est que les occasions d'en remontrer à son interlocuteur ne courent pas les venelles...

Il suffirait pourtant d'ouvrir un dictionnaire pour s'apercevoir que le verbe pronominal s'excuser a un sens qui lui est propre (« présenter ses excuses, exprimer ses regrets »), lequel n'a plus grand-chose à voir avec celui d'excuser (« décharger d'un reproche »). Cette acception ne date d'ailleurs pas d'hier puisque, si elle s'est surtout répandue au XIXe siècle, elle est attestée dès 1690 ! Tout le mal vient donc de ce que, raisonnant comme s'il s'agissait d'un verbe pronominal réfléchi — curieusement, du reste, le Grand Robert le présente toujours comme tel —, on prend le pronom « s' » pour un complément d'objet direct : partant, on en déduit à tort que s'excuser, c'est « excuser soi-même », et c'est cette « autojustification » qui, on l'a vu, rebute le sens commun.

Qui ne comprendrait au contraire que l'action exprimée par ce verbe pronominal ne se reporte pas sur le sujet ? que le pronom « s' » est pour ainsi dire incorporé au verbe, et qu'il n'a pas de fonction grammaticale précise ? que s'excuser serait plutôt à ranger dans cette catégorie de pronominaux que Grevisse nomme « subjectifs » ? Pas plus que l'on ne se saisit soi-même quand on se saisit d'un balai ; pas plus que l'on ne s'aperçoit dans la glace quand on s'aperçoit d'une erreur, on ne se blanchit quand on s'excuse !

« Je m'excuse » ne contrevient par conséquent ni aux règles de la syntaxe ni à celles du savoir-vivre, il n'y a plus un grammairien pour en douter aujourd'hui. Si l'on s'obstine à prôner « excusez-moi » (dont le côté impératif — pour ne pas dire comminatoire — n'est pourtant pas lui-même, quand on y songe, un modèle de courtoisie) ou « je vous prie de m'excuser » (un tantinet lourdaud, obséquieux et collet monté), c'est uniquement par peur de choquer quiconque ne serait pas au courant. « On présente ses excuses ou on s'excuse ; le sens est le même depuis longtemps, écrit Joseph Hanse. Il est bon toutefois de savoir que des personnes peuvent encore se froisser si l'on dit “Je m'excuse”. » Puissent les lecteurs de cette chronique n'en faire plus partie désormais !