Autant pour moi ? Au temps pour moi ?

Le service n'est plus compris...

< mardi 13 août 1996 >
Chronique

Il n'est pas exclu que la récente suppression du service national par Jacques Chirac, indépendamment des remous qu'elle suscita et suscite toujours dans plus d'une ville de garnison, ait quelques effets inattendus sur le front de la langue. Elle risque en tout cas de précipiter l'agonie d'une expression que plus personne ne comprend, à l'exception d'une poignée de puristes et de nostalgiques du peloton d'instruction... Combien sont-ils encore, en effet, à savoir qu'il convient d'écrire Au temps pour moi et non Autant ? À se rappeler qu'en l'occurrence ce temps-là est, en termes militaires et pour reprendre la définition de Littré, « l'action d'exercice qui s'exécute à un commandement, et qui se divise en mouvements pour en faciliter l'exécution » ? Il s'agit donc bien, comme le précise Joseph Hanse, de revenir à la position précédente (au temps précédent) en vue de recommencer et de parfaire le mouvement. Qui ne se souvient, renchérit Jean Girodet, du trop célèbre Au temps, pour les crosses ? Adolphe Thomas, pour décourager toute velléité de contestation, va même jusqu'à se réclamer de l'italien, lequel connaît une expression en tout point identique : Al tempo ! Force est cependant d'admettre que ce sens technique n'est plus guère perçu de nos jours, et Grevisse de citer des grammairiens qui, refusant le dogme, se sont ingéniés à démontrer que ce Au temps n'était peut-être qu'une altération de Autant. Quoi qu'il en soit, il sera difficile de remonter le courant, d'autant (!) que la version moderne de l'expression trouve aisément à se justifier : on en refait autant pour parvenir au résultat espéré... Seuls devront se méfier les inconditionnels de la dictée de Pivot : armée de métier ou pas, ceux-là — à moins qu'ils ne fussent déjà au parfum — vont devoir changer promptement leur fusil d'épaule s'ils ne veulent pas se faire « flinguer » ou, dans le meilleur des cas, en prendre pour leur grade !