Le plus singulier des pluriels...

Ces fieffés aucuns !

< mardi 16 juillet 1996 >
Chronique

L'avouerons-nous sans honte ? Il n'est pas rare que nous tendions un piège à nos lecteurs, dans l'espoir — rarement déçu — de les voir réagir et de pouvoir par là mettre à mal quelques idées reçues... Cette fois, c'est une Calaisienne qui, avec beaucoup d'à-propos, a mordu à l'hameçon en se déclarant « surprise » de l'accord d'aucun dans la phrase : « Cela n'a entraîné aucuns frais » (À vous de jouer du 4 juin, phrase n° 10). « Logiquement, plaide-t-elle, cet adjectif ne devrait être employé qu'au singulier... » Que nenni !

Certes, le singulier est presque toujours la règle après aucun. Mais que faire lorsque ce dernier est suivi d'un nom qui n'existe qu'au pluriel (archives, funérailles) ou qui, au pluriel, prend un sens particulier, qu'il importe de bien distinguer du singulier (ciseaux, gages) ? La « logique » qu'invoquait tout à l'heure notre lectrice se retourne alors contre elle car où a-t-on vu, dans notre grammaire, qu'un adjectif se dispense d'obéir au nom ? On écrira donc, des plus logiquement, aucunes armoiries, aucunes condoléances, aucuns sévices... Cela dit, que notre aimable correspondante se rassure, nous n'exercerons contre elle... aucunes représailles, trop heureux d'avoir pu, grâce à elle, faire toute la lumière sur ce point trop souvent négligé ! Évidemment, il est un autre cas où aucun prend la marque du pluriel ; mais il s'agit alors du pronom d'aucuns qui, dans la langue très soutenue, remplace parfois certains, plusieurs... Souvenir du temps, pas si lointain, où aucun avait une valeur positive...

P.S. Il arrive que la machine nous trahisse à notre tour et qu'une coupe intempestive ôte tout sens à notre phrase : en témoigne l'infortuné mille-feuille du 18 juin (Solutions, jeu n° 3), dont nous voulions dire qu'il pouvait aussi s'écrire en un seul mot. Et pan sur le bec, comme on dit au Canard enchaîné !

Sur le bec de la machine, s'entend...