À Londres, le bridge n'est plus ce qu'il était...
Vive le plombage polonais !
Gageons que désormais on y regardera à deux fois avant de décréter que, pour Tony Blair, tout va comme sur des roulettes ! Certes, rien ne dit que Sa Gracieuse Majesté abordera le sujet dans son prochain discours de la couronne, ni qu'elle s'y montrera incisive à l'encontre d'un gouvernement soupçonné d'avoir du plomb dans l'aile. Il est pourtant à craindre que la pénurie de dentistes ne finisse par mettre à mal, outre-Manche, ce qu'il est convenu d'appeler l'appareil de l'État. Passe encore que le terrorisme vous oblige à être continuellement sur les dents... Mais que l'on n'ait d'autre solution, ensuite, que de se les faire soigner en Pologne ou en Hongrie, voilà qui devient franchement shocking ! Laissons là, nonobstant, ces considérations de basse politique, faute de quoi le chroniqueur du langage, quand il ne s'écarterait ici qu'à moitié de ses chères racines, se verrait accuser de manger à tous les râteliers. Profitons plutôt de l'occasion pour dénoncer l'amalgame — si l'on ose dire — trop souvent pratiqué entre denture et dentition. Le premier de ces mots, qui date du treizième siècle, a coulé des jours heureux jusqu'à ce que le second fît son apparition, peu avant la Révolution. Pour autant, il n'y eut pas aussitôt casus belli, puisque leurs sens... ne chevauchaient pas ! À denture correspondait l'ensemble des dents : ainsi parle-t-on, dans Le Capitaine Fracasse, d'une « denture qui eût fait honneur à un jeune loup »... Dentition était, quant à lui, un terme plus didactique qui renvoyait à la formation et à l'éruption desdites dents. C'est à bon droit que l'on distinguait, par exemple, entre la dentition temporaire (dite encore lactéale) et la définitive. La confusion s'installa quand ce blanc-bec, se trouvant bientôt à l'étroit dans cette acception trop technique, s'avisa de mordre sur le pré carré de son aîné (il en est manifestement des vocables comme des hommes politiques : certains ont les dents plus longues que d'autres). On se mit dès lors — vers le milieu du dix-neuvième siècle, pour être plus précis — à user de dentition là où denture eût mieux fait l'affaire. Littré ne manqua pas de s'en offusquer : viendrait-il à l'idée, c'est vrai, de confondre musculation et musculature ? Mais l'Académie, dans sa mansuétude et la huitième édition de son Dictionnaire, finit par voler au secours de l'usage en entérinant l'abus. Aussi nous garderons-nous, le sujet à l'évidence s'y prêtât-il, de ramener ici notre fraise !