Vous avez dit bissexte ?
Il faut rendre à César...
Qui l'eût cru ? Et l'eût-il lui-même soupçonné ? Ce n'est pas en franchissant, sur un coup de dés pourtant mémorable, le Rubicon que César a forcé les portes de l'histoire. Ce n'est pas davantage sa politique égyptienne, cela se voit comme le nez au milieu de la figure de Cléopâtre, qui lui a permis de passer à la postérité. Pas plus que cette folle incursion du côté des Gaules, où il était allé pêcher, on ne s'en souvient plus que grâce à Astérix, une notoriété des plus éphémères... Non. Son œuvre majeure, celle, en tout cas, qui aura le mieux résisté aux injures du temps, semble bien être le bissexte : vingt siècles plus tard, et quand il n'y aurait plus que les dictionnaires pour prononcer son nom, il est toujours là, fidèle au rendez-vous du 29 février. Une leçon pour tous nos hommes politiques soucieux (et ils ne manquent pas !) de leur image post mortem : quand on veut prendre date, le plus sûr est encore de se pencher sur le calendrier, et pas seulement sur celui des élections !
À sa décharge, le vainqueur de Pharsale n'avait pas vraiment le choix : l'année civile s'écartant de plus en plus, à cette époque, de l'année vraie, il ne pouvait se payer le luxe, comme le fera, beaucoup plus tard, un de ses illustres successeurs, de laisser le temps au temps. Il créa donc le bissexte, sur le conseil de Sosigène d'Alexandrie, phare de l'astronomie d'alors. Pourquoi bissexte ? Tout simplement parce que, tous les quatre ans ou presque, ce jour supplémentaire était appelé à doubler (bis) le 24 février, à savoir le sixième jour (sextus) avant les calendes de mars. Ces dernières accompagnant Rome dans sa chute, le mot fera une courte carrière en ancien français avant de s'effacer — dans le langage courant, du moins — devant son dérivé bissextil,e, au masculin lui-même inusité. Raison de plus pour l'exhumer des dictionnaires, le lecteur dût-il nous accuser ici de disserter du... bissexte des anges !