Succès monstre pour les Pokémon

Mots-valises : un sujet porteur !

< mardi 2 mai 2000 >
Chronique

Il en va des phénomènes de mode comme des clous : l'un chasse l'autre. Le dernier en date est celui des Pokémon (invariabilité et accent aigu si l'on s'en tient aux consignes du fabricant). L'occasion ou jamais — cette nouvelle coqueluche des cours de récréation devant son nom au télescopage de pocket et de monster — de préciser ce qu'il sied d'entendre par « mot-valise ». À en juger par la définition du Petit Larousse (« amalgame de la partie initiale d'un mot et de la partie finale d'un autre ») comme par l'unique exemple fourni (le fameux franglais que popularisa Étiemble en 1964), Pokémon, au sens strict du terme, n'en serait pas un. Il est vrai que, de son côté, Robert se montre moins tatillon  : il ne précise en rien quelles doivent être les syllabes concernées et met, si l'on ose dire, dans le même sac cultivar (cultivé + variété), et progiciel (produit + logiciel). Glorieuse incertitude de la lexicographie ! Aussi bien, peu importe. L'essentiel n'est-il pas que ces mots-valises, hier baptisés mots-portemanteaux par Lewis Carroll, nous ramènent à la fonction éminemment ludique du langage ? Quel écrivain ne s'est amusé, un jour ou l'autre, à jouer les entremetteurs, incitant des vocables qui, jusque-là, se fréquentaient à peine à conclure un PACS ? Jules Laforgue trouvait éléphantaisiste une plaisanterie un peu lourde, Jean-Paul Clébert voyait dans l'ivrogne au vin triste un picoléreux. Montherlant, pour évoquer le vague à l'âme des pieds-noirs rapatriés, n'hésitait pas à parler de nostalgérie. Quand il ne traitait pas ses fantasmes de phallucinations, Céline, grand pourvoyeur de mots devant l'Éternel, fustigeait la lâcheté des généraux en en faisant des foudres... d'escampette ! Et que dire de ce terme de macdolescence par lequel Alain Finkielkraut désigne la jeunesse d'aujourd'hui, peu respectueuse de notre tradition gastronomique ? De cet abribuste dans lequel ce coquin de Jean-Loup Chiflet voit le corsage des employées de la R.A.T.P. ? En matière de mots-valises, il va sans dire, honni soit qui... malle y pense !