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V

Le retour du guerrier

Illustration par Bernard Verquère
Une cohorte d'infirmières
se précipite dans la chambre.
Bernard Verquère

Il était temps. À peine la chambre a-t-elle retrouvé son aspect primitif (il est 15 h 45 !), votre mari revient, tétine aux lèvres. Il ronfle comme une batteuse. En un sens, c’est rassurant. Ce qui l’est moins, c’est le minimum de précautions que prennent les infirmiers pour le réinstaller dans son lit. Oui, tout s’est bien passé. Non, il ne va pas tarder à se réveiller. Si, si, il est tout à fait normal qu’il soit aussi pâle... Une cohorte d’infirmières se précipite dans la chambre. L’une branche l’oxygène, l’autre s’empare du bras du patient pour lui prendre la tension. Peine perdue : l’engin ne « gonfle » pas. Il est hors d’usage. À grand renfort de jurons, on part à la recherche d’un autre appareil. Lequel, vingt-cinq minutes plus tard, délivre un verdict apaisant : 12/7. On reviendra voir sous peu.

La tornade blanche passée, vous avez tout le loisir de contempler le spectacle. Il n’est guère réjouissant. Outre la tétine qui tend à prendre ses quartiers d’hiver, des tuyaux surgissent de partout : un du nez, un autre de la plaie, relié à un bocal. De la masse informe qui gît sur le lit émane un grognement dont on ne sait trop s’il faut l’attribuer au râle ou au ronflement. Quoi qu’il en soit, vous avez bien du mal à vous persuader que cette gloire éteinte n’est autre que celui dont vous partagiez naguère la couche. Épinglés sur l’oreiller, ratatinés dans leur sac de cellophane, les deux calculs prouvent (comme si l’état de grâce dans lequel se trouve votre mari n’y avait pas suffi) que l’opération a bien eu lieu.

Commencent alors les soins attentifs : s’assurer que le patient — ce n’est d’ailleurs qu’une façon de parler ! — a bien repris connaissance. (Pas de problème de ce côté-là, il ouvre un œil de temps à autre, pour vous injurier. Néanmoins, c’est encore le cirage...) Faire couler de l’eau pour faciliter les tentatives désespérées de votre mari pour uriner. Surveiller de près les mouvements intempestifs, susceptibles de déplacer la sonde nasale. Baisser les stores en raison de la forte luminosité. Relever les mêmes stores pour sauvegarder le moral du patient (la pièce avait un faux air de chambre mortuaire, les râles aidant). Orienter correctement la tête du malade. Soulever délicatement le drap pour décrire le désastre. Aller rendre discrètement dans le lavabo. Renvoyer l’infirmière qui venait ramasser les tickets pour le repas du soir. Répondre au téléphone, car les appels affluent de partout (« Oui, c’est fait. Oui, tout s’est bien passé. Non, il n’a pas trop souffert. Vous croyez ? Ce n’est pas la peine de vous déranger ! C’est gentil de votre part. C’est ça, alors à bientôt... »)

Ces tâches menées à bien, il est 8 heures. Votre mari commence à émerger. Malheureusement, c’est rarement pour reconnaître votre dévouement ou pour vous louer des services rendus. C’est, par contre, très souvent pour se lamenter : sa plaie le fait souffrir, il a la gorge sèche, ne parvient pas à uriner, ressent de nouveau ses douleurs dorsales, se plaint de violentes migraines et a, de surcroît, une furieuse envie de vomir. Par bonheur, il a encore assez de force pour se faire comprendre et exiger de vous tout ce dont il a besoin.

Quant à la nuit qui déploie lentement ses voiles au-dessus de la clinique, mieux vaut n’y pas penser...

 
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