Les compléments
Non, chère madame, le complément du nom n’est pas le prénom, du moins pas en grammaire, mais, à n’en pas douter, cette réponse-là devrait vous valoir la palme de l’humour, une dimension qui, reconnaissons-le humblement, n’est que trop souvent absente de nos cours théoriques ! Les autres personnes interrogées, qui avouent toutes ou presque, et avec une honnêteté qui fait plaisir à voir, que l’école leur semble bien loin, ont préféré jouer la sécurité, fût-ce pour supposer, avec un solide bon sens, que le complément du nom avait pour mission de compléter le nom, ce que nous aurions mauvaise grâce à contester. Au sens large, on pourrait même considérer que déterminant, épithète, apposition, proposition relative pourquoi pas, sont des compléments du nom, en ce sens qu’effectivement ils lui sont subordonnés dans la phrase. Dans un sens plus restreint, pourtant, on réserve plutôt cette appellation au complément déterminatif, souvent précédé de la préposition de, comme s’en sont opportunément souvenus certains de nos cobayes : quand on évoque le nez de Cyrano, il n’est que trop clair que Cyrano est le complément du nom nez. Quant à l’attribut, il exprime une manière d’être du sujet, auquel il est uni par l’intermédiaire d’un verbe : « Ce nez semble long », « il est un roc, un cap, une péninsule ». L’adjectif long, les noms roc, cap, péninsule sont attributs du nom nez, du pronom il. Mais ce ne sont là que deux fonctions parmi beaucoup d’autres, comme vous allez le voir dans la scène que voilà...
Eh bien, voilà une scène qui, mine de rien, et sans jamais prononcer leur nom, vous permet déjà de distinguer entre deux — et même trois — catégories de verbes : les verbes transitifs, directs ou indirects, et les verbes intransitifs.
Un verbe transitif est en effet un verbe dont l’énoncé appelle un complément d’objet. Si ce complément est rattaché au verbe sans l’intermédiaire d’une préposition, il est dit d’objet direct. C’est le cas des acteurs dans la phrase « Le metteur en scène dirige les acteurs ». Si, au contraire, la préposition s’avère indispensable pour lier le verbe à son complément, ce dernier sera dit d’objet indirect. C’est encore le cas des acteurs dans la phrase « Le metteur en scène parle aux acteurs », puisque cette fois la préposition à est venue s’intercaler entre le verbe et son complément. Il peut évidemment se produire que les deux types de compléments apparaissent dans le sillage d’un seul et même verbe : c’est ce qui se produit, par exemple, dans « Le metteur en scène donne des conseils aux acteurs », où conseils est le complément d’objet direct, acteurs le complément d’objet indirect, encore appelé, dans ce cas précis, complément d’objet second.
Vous avez déjà deviné qu’un verbe intransitif est un verbe qui exprime une action limitée au sujet et qui ne passe sur aucun objet. Si vous bâillez — souhaitons déjà que cette leçon n’y soit pour rien —, vous ne bâillez pas quelque chose, vous ne bâillez pas à quelqu’un, vous bâillez, un point c’est tout — et cessez de le faire, par pitié, cela pourrait devenir contagieux ! Il va de soi que ce dernier type de verbe, qui ne connaît pas de c.o.d., ignore la conjugaison passive : comment pourrait-on « être bâillé » ?
Cela dit, il n’est pas rare que des verbes admettent plusieurs constructions. C’est le cas, par exemple, du verbe assister, transitif direct dans « assister une personne en danger », transitif indirect dans « assister à un spectacle ». C’est encore le cas du verbe pousser, transitif direct dans « pousser une porte », mais intransitif dans « la barbe qui pousse ». Il est à noter enfin qu’un verbe transitif n’est pas obligatoirement suivi d’un complément et qu’il peut être employé seul : une possibilité dont vous ne vous privez pas quand vous répondez, par exemple « Je refuse » ou « J’avoue ». On dira alors que le verbe est employé « absolument ».
Ne croyez pas que toutes ces distinctions soient gratuites et qu’elles ne servent qu’à satisfaire le grammairien en mal de classification. Elles se révéleront de la plus haute importance, on vient de vous le rappeler, dès qu’il nous faudra accorder ce sacro-saint participe passé..., nous aurons malheureusement l’occasion d’y revenir !
Raison de plus pour respecter l’identité des verbes et ne pas leur imposer, par pure négligence, de changements de catégorie intempestifs ! Passe encore que nos commentateurs sportifs emploient régulièrement les verbes jouer, débuter, exploser au sein de constructions transitives directes qui sont autant d’incorrections grammaticales : « jouer un adversaire », « débuter une rencontre », « exploser la défense d’en face », autant de tournures contre nature, mais qui ne feront bientôt plus hurler que votre serviteur... Même chose pour « pallier à un inconvénient », souvent préféré, à tort, à « pallier un inconvénient », sans doute à cause du presque synonyme remédier à. Mais s’il veut être reçu à son concours de brigadier-chef, notre pompier ferait bien de rendre le verbe se rappeler à sa catégorie primitive ! En proposant pour exemple, il y a quelques leçons de cela, « Plus d’un se rappellera de leur interprétation », il inflige une construction transitive indirecte à un verbe qui doit se construire directement. Il devait dire « Plus d’un se rappellera leur interprétation » ou, s’il tient absolument à sa préposition de, « Plus d’un se souviendra de leur interprétation ». À revoir au plus vite, s’il ne veut pas se faire recaler par un membre du jury qui se découvrirait une âme de puriste !
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