Quelque, tout et même

Mais quelle mouche a bien pu piquer notre examinateur d’un jour pour qu’il aille ainsi torturer le chaland à propos de quelque, de tout et de même ? Ne cherchez pas : statistiquement parlant, ces trois-là sont, dans notre vie de tous les jours, à l’origine de très nombreuses fautes et ce, pour une raison bien simple : ce sont des termes protées, qui changent de catégorie grammaticale plus souvent que de chemise ! Tenez, pour ne parler que de tout... Voilà un mot qui s’offre le luxe d’être tour à tour adjectif (qualificatif ou indéfini), adverbe, pronom et même nom, puisque l’on parle fort bien d’« un tout » pour désigner un ensemble et que ce tout-là fera au pluriel touts, si étonnant que cela puisse paraître de prime abord. On comprendra sans peine que son orthographe soit fonction de ses différents statuts... et c’est d’ailleurs une bonne chose car voilà qui nous permet à nous, destinataires, de mieux comprendre le message qui nous est adressé. Ce n’est pas la même chose, par exemple, de s’entendre dire que « ces pages sont tout arrachées » ou qu’elles sont « toutes arrachées ». Dans le premier cas, celui où tout, adverbe, reste invariable, il est question de pages entièrement arrachées, sur toute leur longueur ; dans le second cas, celui où tout, adjectif, varie, on veut bien plutôt signifier, sans préjuger de la gravité du dommage, que pas une page du recueil n’a été épargnée. Autre distinguo, plus polisson celui-là : supposez, monsieur, qu’une femme charmante vous dise : « Je suis tout(e) à vous ». Avant de triompher intérieurement et de vous dire que c’est arrivé, faites-vous préciser (car la liaison, à l’oral, ne vous permet pas de trancher) la façon dont elle écrit ça. Si c’est tout, il ne s’agit là que d’une banale formule de politesse que, probablement, elle « sert » à chacun de ses invités. Qu’en revanche elle se fende d’un toute et vous avez, comme dirait le Michel Blanc des Bronzés, de bonnes chances de... conclure car c’est en principe la passion qui s’exprime là toute pure ! Cela dit, soyez tout de même prudent : il n’est pas du tout sûr que la dame en question maîtrise elle-même la règle et soit à même de donner dans de telles subtilités... Mais, pour vous comme pour elle, ce sera chose faite sous peu, le temps d’assister à la scène, pour le moins animée, qui suit. À tout à l’heure... ?

 

Nous osons espérer que, dans sa volonté de vous mettre au courant, l’électricien ne vous aura pas fait disjoncter ! Aussi bien, et quand tous les cas de figure n’auraient pu, naturellement, être ici abordés, l’essentiel tient finalement en peu de mots : quelque, tout et même varient quand ils sont adjectifs, restent invariables chaque fois qu’ils sont adverbes.

En voulez-vous quelques exemples supplémentaires ? Si vous souhaitez préciser que « vous avez parcouru à bicyclette quelques kilomètres », vous écrirez quelques sans vous poser de questions et vous aurez raison, ce quelques étant ici un adjectif indéfini qui signifie « un certain nombre de ». Mais qu’il s’agisse de dire à présent que « vous avez parcouru à bicyclette quelque trente kilomètres » et tout change : ce quelque-là est l’adverbe qui signifie « approximativement, à peu près, environ ». Il conviendra donc de le laisser invariable et de l’écrire sans « s » !

Autre exemple, avec tout cette fois : si vous avez assimilé ce qui précède, vous ne l’écrirez pas de la même façon dans « Toute autre attitude m’aurait déçu » et « Son attitude fut tout autre ». Dans la première de ces deux phrases, en effet, tout doit s’accorder avec attitude puisqu’il s’agit visiblement de l’adjectif indéfini qui signifie « n’importe lequel ». Il ne peut d’ailleurs être retiré de la phrase sans dommage pour le sens. Ce qui n’est pas du tout le cas dans notre seconde phrase, « son attitude fut tout autre », où tout doit rester invariable. C’est que, cette fois, tout est adverbe : il signifie « complètement autre, entièrement autre ».

La seule exception, vous l’avez saisie au passage, concerne le tout qui précède un adjectif féminin commençant par une consonne ou par un « h » aspiré. On peut en effet se demander pourquoi la grammaire, qui nous oblige à écrire, des plus logiquement, « la réalisatrice était tout étonnée », nous impose parallèlement « la réalisatrice était toute surprise ». Ici comme là, tout est adverbe et a le sens de « tout à fait, complètement ». C’est, nous explique-t-on, pour raison d’euphonie, c’est-à-dire pour ne point heurter l’oreille, que l’accord se fait dans ce dernier cas. Mais, encore une fois, il s’agit là de l’exception qui confirme la règle. Car complexe mais toujours logique (enfin... presque toujours), c’est la devise de notre grammaire !

 

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