Temps et modes

« On ne se rappelle plus mais on sait que ça existe », constate, dans un sympathique fou rire, cette jeune fille qui n’est d’ailleurs pas, il s’en faut de beaucoup, celle qui s’en sort le plus mal... Voilà qui résume bien la confusion qui s’empare de la plupart d’entre nous lorsqu’il nous faut rassembler — et surtout distinguer — ces notions que l’école, visiblement, n’est pas parvenue à nous inculquer durablement. Non, cher monsieur, le futur présent, ça n’existe pas, et nous sommes bien sûr que vous ne l’avez jamais rencontré, quoi que vous en pensiez !...

À y bien réfléchir, cependant, est-il quelque chose de plus important, pour structurer notre pensée, que ces temps et ces modes ? De quel autre moyen pourrions-nous en effet user pour nuancer nos propos, pour délivrer nos messages ? Fort heureusement, les choses se font souvent instinctivement, sans que nous en ayons conscience : le syndrome de M. Jourdain, toujours... Mais mieux vaudrait tout de même que l’on y voie plus clair. Ce sera sans doute chose faite dans quelques instants : la maquilleuse-habilleuse se propose de vous refaire une beauté grammaticale !

 

Voilà qui, nous n’en doutons pas, aura contribué à remettre un peu d’ordre dans vos souvenirs ! Quatre modes dits personnels ou encore conjugués, en ce sens que le verbe y varie selon la personne grammaticale : indicatif, subjonctif, impératif et conditionnel... quand bien même les grammairiens seraient aujourd’hui nombreux à refuser à ce dernier le statut de mode et à en faire un simple temps de l’indicatif ; deux modes impersonnels, ensuite, où par conséquent le verbe ne se conjugue pas : infinitif et participe. Et au sein de chacun de ces modes, des temps, en quantité d’ailleurs très inégale : tout juste deux pour l’infinitif, de huit à dix pour l’indicatif qui, en la matière, on s’en doutait un peu, est d’assez loin le mieux pourvu.

Qu’ajouter à ce brillant rappel de notre maquilleuse-habilleuse ? Peut-être insister sur le fait que toutes ces catégories n’ont pas été inventées par des grammairiens rabat-joie dans le seul dessein de mettre à mal notre mémoire mais qu’elles sont pour nous, encore une fois, autant d’outils qui nous permettent de traduire avec précision notre pensée. Ce subjonctif, par exemple, dont certains se demandent, tant il leur pose de problèmes d’orthographe et de conjugaison, s’ils ne pourraient pas, au fond, aisément s’en passer, ne faut-il pas plutôt le considérer comme une chance, celle qui nous est offerte de pouvoir, comme on vous l’a dit, évoquer des actions qui ne se sont pas encore traduites et ne se traduiront peut-être jamais dans les faits, au contraire de celles représentées par l’indicatif ? Que serait un monde où l’on ne pourrait ni craindre, ni souhaiter, ni vouloir ? Où l’on ne pourrait plus que constater les choses, sans avoir la moindre prise sur elles ? Eh bien, béni soit le subjonctif, si rébarbatif qu’il nous paraisse quelquefois, de nous donner ce pouvoir et en tout cas de l’exprimer !

Évidemment, la précision est un luxe qui se paie. Et ce droit que nous reconnaît la grammaire d’exprimer le fond de notre pensée avec clarté s’accompagne comme toujours de devoirs, le plus souvent orthographiques. Si nous voulons que le message soit reçu, il nous faudra veiller, notamment à l’écrit, à bien distinguer certaines formes qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau. On n’écrira pas de la même façon, on vous l’a dit, « Je sais qu’il voit clair en lui-même » (c’est un fait, une certitude, d’où le présent de l’indicatif) et « Je veux qu’il voie clair en lui-même » (il s’agit cette fois d’une volonté, d’un souhait qui ne seront peut-être pas suivis d’effet, d’où le subjonctif). Mais ces risques-là se répètent à d’autres personnes : ne confondez pas davantage « je sais que vous voyez » (indicatif) et « je veux que vous voyiez » (subjonctif). Quelquefois même, la distinction entre indicatif et subjonctif ne tiendra, vous le savez, qu’à un malheureux accent circonflexe : dites « Je voudrais qu’il fût le meilleur de sa catégorie », et tout le monde louera votre beau langage et votre maîtrise de la concordance des temps. Mais qu’en l’écrivant vous omettiez l’accent circonflexe qui trône sur le « u », et vous vous retrouverez de fait au passé simple de l’indicatif, coupable qui plus est d’une belle incorrection, puisque le souhait exprimé imposait ici le subjonctif. En voulez-vous un autre exemple ? Comment écririez-vous eut dans « Après qu’il eut mangé, il fit la sieste » ? Avec un accent circonflexe ? Eh bien, vous auriez tort : il ne s’agit pas ici d’un subjonctif plus-que-parfait, comme on le croit trop souvent, mais d’un passé antérieur de l’indicatif. S’il est fondé, en effet, de mettre le subjonctif après la locution avant que, dans la mesure où l’action qu’elle introduit, simplement envisagée dans l’esprit, n’a pas encore eu lieu au moment où se déroule celle de la principale, il l’est beaucoup moins d’y recourir après après que, puisque l’action de la subordonnée a, cette fois, déjà eu lieu... Bref, vous l’avez compris : sur ce problème de la distinction entre indicatif et subjonctif comme sur tant d’autres, dans le détail desquels nous ne pouvons entrer ici, c’est une vigilance de tous les instants qui s’impose, ainsi qu’une révision rapide, et pourquoi pas enthousiaste, de nos bons vieux tableaux de conjugaison !

 

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